Venu d’Ethiopie et du Yemen, le café s’est répandu dans tout le monde arabe bien avant d’envahir pacifiquement – via Venise – l’Europe occidentale, puis les Amériques. Au XVIIème siècle, c’est l’engouement : des « maisons du café » s’ouvrent à Londres, Marseille, Amsterdam, à l’instar de celles créées à Constantinople un bon siècle plus tôt. Lors de la révolution française, on dénombre déjà 2000 « cafés » à Paris. Aujourd’hui 80 % de nos concitoyens en consomment régulièrement ! Ce qui ne va pas sans soulever des questions…

Dans une grande tasse de café (150ml), on trouve environ :

  • 0,3 g de protéines,

  • 0,2g de glucides,

  • pas de lipides,

  • 100 mg de potassium,

  • 200 à 500 mg de polyphénols,

  • vitamine PP ou B3,

  • et bien sûr, la caféine, un alcaloïde qui n’a pas fini de nous étonner.

C’est elle, en effet, qui stimule le système nerveux central, suscitant chez le consommateur une vigilance accrue ; elle encore, qui favorise la digestion (propriété mise en avant dès le IXème siècle par Razès, célèbre médecin Perse) ; qui de surcroît préviendrait les calculs biliaires. Mais c’est elle aussi qui provoquerait insomnies, tachycardie, HTA et plus généralement, cardiopathies.

Un alcaloïde étonnant

La teneur en caféine varie énormément selon le mode de préparation du café et la provenance de la graine.

Exemples :

    • une grande tasse de café filtre (150 ml) apporte selon la variété (arabica ou robusta) 50 à 120 mg de caféine (Arabica) et 100 à 250 mg (pur Robusta), soit un rapport de 1 à 5 !

    • Une grande tasse de café soluble (150 ml) de 40 à 120 mg

    • Un expresso (35ml) de 40 à 110 mg

    • Une grande tasse de café décaféiné (150ml) de 2 à 5 mg

La dégradation de la caféine dans l’organisme par le foie est très variable d’un individu à l’autre. Sa demi-vie (durée au bout de laquelle la moitié de la caféine ingérée est encore présente dans l’organisme) varie en moyenne de 4 à 5 heures chez l’adulte ; Certains éléments la diminuent : activité physique, prise de vitamine C et tabac, d’autres l’augmentent : obésité, prise de contraceptifs… la caféine aura donc des effets brefs ou des effets longs selon le style de vie et le métabolisme de chacun.

L’opinion méconnaît ou oublie l’existence de caféine dans d’autres boissons.

Exemples :

    • une tasse de thé (150 ml) contient de 30 à 45 mg de caféine

    • une tasse de chocolat chaud (150 ml) de 2 à 7 mg

    • une canette de thé glacé (330 ml) environ 70 mg

    • une canette de cola (330 ml) de 30 à 48 mg

    • canette de cola light (330ml) de 25 à 55 mg

Comment, dans ces conditions, incriminer avec certitude le café d’effets pathologiques plus ou moins bien cernés, si le consommateur absorbe de la caféine à profusion sous d’autres formes (sans préjuger à fortiori de sa consommation simultanée de tabac et/ou d’alcool) ?

Une controverse qui dure…

C’est ainsi qu’au cours des années quatre-vingt, une sorte de polémique à peine feutrée suscita de nombreuses publications concernant le rapport café – cardiopathies.

Premier questionnement : la montée de l’hypertension artérielle considérée, à juste titre, comme un problème majeur de santé publique. Dès lors, la « piste » café fut délibérément explorée par les chercheurs. Mais comme devait le résumer dès 1996 le professeur Louis Guize alors chef du service de cardiologie à l’hôpital Broussais (Paris), « plusieurs études très bien menées ont montré que le café consommé régulièrement n’entraînait ni augmentation ni diminution significative des chiffres de tension artérielle ».

Plus graves encore, les suspicions concernant les maladies coronariennes. Avant 1987, cinq études ont en l’occurrence absout le café, dont celle – exhaustive – de Jakobson, publiée en Norvège. Dans ce pays où les non buveurs de café sont extrêmement rares, 13.664 hommes et 2.891 femmes, faibles ou au contraire, gros consommateurs ont été comparés. In fine, aucune différence en terme de mortalité d’origine cardiaque n’a pu être mise en évidence.

Coup de tonnerre : la Kauser-Permanente Study affirme un peu plus tard que les sujets buvant plus de 4 tasses de café par jour encourraient un risque d’infarctus du myocarde 1,4 fois supérieur à celui des « abstinents ». Mais voilà qu’en Suède où la consommation de café par habitant est la deuxième du monde, une nouvelle enquête épidémiologique (Rosengren et Wilhemsen à Göteberg, 1991) conclut que le café n’est pas impliqué dans les coronopathies.

Aujourd’hui, pour une publication accusant en ce sens le café, deux au moins l’innocentent. « L’affaire » du café et du cœur n’est donc pas close, loin s’en faut, à en croire la multiplication des études (plus de 30 !) concernant l’effet du café sur le cholestérol et qui se renvoient leurs conclusions dos à dos.

Café et maux de tête

Une évidence s’impose donc : la caféine est tout, sauf une substance neutre. Absorbée en quantité mesurée (pas plus de 400 mg/jour, soit 4 à 5 tasses de café de 150 ml), elle fait du café – les travaux les plus récents le confirment – une boisson intellectuellement dynamisante, qui, de surcroît, avec l’aide de ses propres polyphénols stimule la contraction de la vésicule biliaire, augmente la sécrétion du suc pancréatique, bref, aide à la digestion (Douglas BR et al. : Coffee stimulation of cholecystokinin release ; Debry G : Effets du café sur l’appareil digestif in : le café et la santé. John libbez Eurotexte 1994) ; Par ses propriétés vasoconstrictrices, elle soulage les céphalées, potentialisant même les effets antalgiques de l’aspirine ou des AINS (Diamond S et al : Ibuprofen plus caffeine in the treatment of tension-type headache).

A contrario, tout comme le bon vin, une consommation excessive (plus de 450 à 500 mg/jour, soit 5 à 6 tasses de 150 ml/jour) métamorphose ses vertus en inconvénients. Risquent d’apparaître alors, outre la classique insomnie, des symptômes de tachycardie, de HTA, et (ce qui ne serait qu’apparemment un paradoxe) des céphalées. D’autre part, chez les très gros consommateurs de café, une certaine dépendance à la caféine peut survenir et le sevrage peut provoquer des maux de tête.

Il convient cependant de se méfier particulièrement du café bouilli (dont le marc est mélangé à la boisson), qui élevant davantage le taux d’homocystéine, majore le risque cardio-vasculaire. Ce type de décoction est largement consommé dans les pays scandinaves et en Finlande, ce qui explique sans doute les récents travaux sur le sujet en provenance de ces pays.

Enfin, par principe de précaution, il vaut mieux limiter voire déconseiller la caféine aux femmes enceintes ou allaitantes ainsi qu’aux sujets souffrant d’ulcère gastroduodénal (le « décaféiné » est là pour elles et eux).

A ces exceptions près, le « p’tit noir » s’avère plutôt l’ami de l’homme. A condition de le boire avec modération, comme le « p’tit rouge ».

Avant une conduite nocturne, vaut-il mieux boire un café ou faire une sieste?

Pierre Philip et son équipe ont testé pour la première fois l’effet d’un café fortement dosé ou d’une sieste sur les performances de sujets jeunes lors d’une conduite autoroutière nocturne.

L’étude randomisée, de type croisé, a inclus douze hommes (âge moyen, 21,3 +/- 1,8 ans). Les participants ont effectué 4 trajets de 200 km sur autoroute. Tout d’abord un trajet de référence effectué entre 18h et 19h30 pour évaluer la conduite de jour puis trois trajets entre 2h et 3h30 du matin : l’un après avoir bu du café décaféiné (125 ml, 15 mg de caféine, placebo), un deuxième après avoir bu du café instantané (125 ml, 200 mg de caféine) et un troisième après avoir fait une sieste de 30 minutes dans la voiture garée sur une aire de repos. Les participants ne savaient pas s’ils consommaient du café décaféiné ou du café instantané. La trajectoire du véhicule a été enregistrée par vidéo et les franchissements intempestifs des lignes blanches analysés en laboratoire.

Après la prise de café instantané, la conduite nocturne était équivalente à celle diurne chez 75 % des participants en terme de performances (au maximum un franchissement de lignes intempestif en 90 minutes). C’est également le cas chez 66 % des conducteurs qui avaient effectué une sieste avant de prendre le volant (P=0,66 vs coffee). Par contre, seul 13 % des conducteurs sous placebo avaient une conduite normale (P=0,041 vs sieste, P=0,014 vs coffee) et jusqu’à 17 franchissements de lignes intempestifs ont été observés en 90 minutes. Le risque relatif de franchissement de la ligne blanche a été estimé à 3,7 après placebo comparativement au café (p=0,001) et 2,9 versus la sieste (p=0,021). Les personnes qui conduisent en état de fatigue ont donc un risque jusqu’à trois fois plus élevé d’accidents de la circulation. La consommation de café ou la pratique de la sieste permet donc de réduire significativement les risques d’écart de conduite.

Comment expliquer l’efficacité supérieure de la caféine par rapport à la sieste ? L’envie de dormir au milieu de la nuit résulte d’une pression dite homéostatique visant à contrebalancer la durée d’éveil et d’une pression chronobiologique liée au fait d’être éveillé au moment où nous devrions être endormis. La sieste diminue la pression homéostatique alors que la caféine qui stimule le système d’éveil agit sur les deux pressions, permettant ainsi un meilleur retour aux performances normales.

Café : réduction des affections inflammatoires et cardiovasculaires ?

D.R. Jacobs et son équipe ont utilisé les données de l’Iowa Women’s Health Study, une cohorte de 41837 femmes âgées pour étudier la relation entre la consommation de café et le risque de mort par maladies inflammatoires ou associées aux stress oxydatif. Les auteurs ont sélectionné dans ce groupe 27 321 femmes post-ménopausées, âgées de 55 à 69 ans, au début de l’étude, et ont observé pendant 15 ans leur alimentation et l’évolution de leur santé. Pendant cette période, 4265 femmes sont décédées.

Le résultat majeur de cette étude est la présentation du risque relatif de mortalité attribué à plusieurs maladies en relation avec la consommation de café :

Risque relatif (Intervalle de confiance 95%) de mortalité chez les femmes post-ménopausées issues des données de l’Iowa Women’s Health Study en relation avec leur consommation de café (1986-2001)

Mortalité

Consommation de café (tasses/jour)

0

<1

1-3

4-5

6

P

Globale

1

0,91

0,85

0,81

0,87

0,0003

Par maladies cardiovasculaires

1

0,85

0,76

0,81

0,87

0,14

Par maladies inflammatoires

1

1,08

0,72

0,67

0,68

0,0004

Par cancer

1

0,81

0,95

0,84

0,94

0,12

La consommation de café permettrait de limiter les inflammations réduisant ainsi les risques cardiovasculaires et les autres affections inflammatoires chez les femmes post-ménopausées.

Chez les femmes qui boivent une à trois tasses de café par jour (par rapport à celles qui n’en consomment pas), le risque de décéder d’une :

  • maladie cardiovasculaires est réduit de 24 %. En boire de plus grandes quantité ne réduit pas plus ce risque.

  • maladie inflammatoire est réduit de 28 %.

L’augmentation des doses diminue légèrement les risques.

En ce qui concerne les cancers, les auteurs ont montré qu’ils n’étaient pas influencés par la consommation de café.

L’effet protecteur du café pourrait être attribué à sa richesse en antioxydants, lesquels seraient capables de protéger l’organisme contre les effets néfastes du « stress oxydatif ». Or celui-ci est étroitement lié aux processus de l’inflammation et aux maladies cardiovasculaires.

Si les résultats semblent favorables, ils n’excluent cependant pas que le café puisse être déconseillé à certains surtout s’il est accompagné de sucre, crème ou autres viennoiseries…

Andersen L.F. et al. Consumption of coffee is associated with reduced risk of death attributed to inflammatory and cardiovascular diseases in the Iowa Women’s Health Study. Am J Clin Nutr 2006;83:1036-1046